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fetichisme-copie-1

 

Le concept marxien de « fétichisme de la marchandise » [1] n’indique pas seulement une mystification de la conscience, un « voile ». Il est également un phénomène réel : dans la société capitaliste, toute l’activité sociale se présente sous forme de valeur et marchandise, de travail abstrait et d’argent. Mais cela veut aussi dire que les antagonismes sociaux dans la société marchande ne concernent pas l’existence même de ces catégories, mais regardent essentiellement leur distribution entre ceux qui contribuent à la création de la valeur au travers du travail abstrait. En prendre acte met la théorie de l’émancipation sociale face à un dilemme : les « luttes de classe » au sens traditionnel, et celles de leurs substituts (« subalternes » de tout genre, femmes, populations colonisées, travailleurs précaires, etc.), apparaissent comme des conflits « immanents », qui ne portent pas au-delà de la logique de la valeur [2]. Au moment où celle-ci semble avoir atteint ses limites historiques [3], ces luttes risquent souvent de se borner à la défense du status quo et à la recherche de meilleures conditions de survie pour soi-même au milieu de la crise. Il est évident que ce dont il faudrait s’émanciper ce sont l’argent et la marchandise, le travail et la valeur, le capital et l’État en tant que tels. Il semble cependant difficile d’attribuer cette tache à des groupes constitués par le développement de la marchandise même.


Dans les années 1960, les mouvements de protestation étaient dirigés justement contre la réussite du capitalisme, contre l’ « abondance marchande », et s’exprimaient au nom d’une autre conception de la vie. Les luttes sociales et économiques d’aujourd’hui se caractérisent souvent par leur désir d’un capitalisme qui maintient ses promesses. Dans la problématique écologique semble se poser un peu plus la question du sens de l’ensemble, mais le manque d’une vision globale fait glisser les écologistes rapidement vers des propos de gestion alternative du capitalisme [4]. Vouloir se débarrasser de la colonisation de nos têtes, que ce soit à travers le rejet de la publicité ou l’exploration des liens entre l’inconscient et le fétichisme marchand est assez important, mais risque de se cantonner à la sphère individuelle. Si l’on se tient à une lecture globale et radicalement critique du présent, comme la propose la critique de la valeur, où une émancipation pourrait-elle commencer ? [5]

 

 

Intervenant :


Anselm Jappe est né en Allemagne, a étudié la philosophie en Italie et en France. Il enseigne actuellement l’esthétique à l’Accademia di Belle Arti di Frosinone (Italie). Publications principales : « Guy Debord. Essai » (1993, dernière édition française Denoël 2001), « Les Aventures de la marchandise » (Denoël, 2003), « Crédit à mort » (Lignes, 2011). A participé à l’élaboration de la critique de la valeur autour des revues allemandes Krisis et Exit !

 

Horaire

Vendredi 26 octobre

11h30 – 13h15

Colloque international, " Penser l'émancipation " : Université de Lausanne, 25-27 octobre 2012.

 

Plus d'informations pratiques sur ce site

 

Notes :

 

[1] Les traductions de Joseph Roy et Maximilien Rubel étant quasi inutisables, sur le concept marxien de fétichisme voir la traduction du Livre I du « Capital » de Karl Marx établie sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre (PUF, 2009), notamment dans le chapitre 1, la quatrième partie « Le caractère fétiche de la marchandise et son secret », pp. 81-95.

[2] Pour un développement,voir Par-delà la lutte des classes par Robert Kurz, Classes et dynamique du capitalisme ou Le prolétariat n'est pas le sujet de l'histoire par Moishe Postone, on peut voir encore Lubies métaphysiques de la lutte des classes. A propos des présupposés tacites d'un étrange rétro-discours par Norbert Trenkle.

[3] La mouvance allemande de la critique de la valeur a construit dès les années 1990, une théorie de l'effondrement du capitalisme, au-delà des thèses d'Henryk Grossmann et Paul Mattick (père). Pour un aperçu de cette théorie, on peut se reporter à la rubrique Théorie de l'effondrement du capitalisme sur ce site.

[4] On pourra voir l'article d'Anselm Jappe, Décroissants encore un effort... ! Pertinences et limites des objecteurs de croissance.

[5] On peut se reporter à la rubrique Que faire ? Quoi faire ? , voir en particulier Critères du dépassement du capitalisme de Robert Kurz. Anselm Jappe a publié également en mai 2012 dans la revue « Réfractions. Revue de réflexion et d'expression anarchiste », un article intitulé « Être libre pour la libération ».  On peut également renvoyer au n°4 de la revue Sortir de l'économie et remarquer que John Holloway dans son dernier livre récemment traduit en Français, « Crack capitalism ! 33 thèses contre le capital » (Libertalia, 2012) discute de la question de la sortie du fétichisme en abordant les pensées de Robert Kurz, Moishe Postone ou des groupes Exit ! et Krisis.

 

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Sexe capitalisme et critique de la valeur

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Credito a muerteespagnol

Tag(s) : #Rencontres autour de la critique de la valeur
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