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The treadmill effect of capitalism

Karl Marx, Moishe Postone et

la dynamique immanente au capitalisme dans sa détermination initiale

 

« Après l'introduction du métier à tisser à vapeur, en Angleterre, il ne fallait plus peut-être que la moitié du travail qu'il fallait auparavant pour transformer une quantité de fil donné en tissu. En fait, le tisserand anglais avait toujours besoin du même temps de travail qu'avant pour effectuer cette transformation mais le produit de son heure de travail individuelle ne représentait plus désormais qu'une demi-heure de travail social et tombait du même coup à la moitié de sa valeur antérieure »

Karl Marx, Le Capital, Livre I, Puf, 1993, p. 44.

   Dans le fichier ci-dessous, l'ensemble de ce qui suit avec les schémas en grand format (plus lisibles que sur la page web) :

 

   La norme sociale temporelle de la productivité en un temps (t), apparaît en face de chaque producteur particulier comme une dictature absolue, qui prend ici un caractère anonyme. Il n'y a pas là, à ce niveau, un contremaître qui dit que tu dois faire 40 mètres de toile en une heure. C'est, si on ne fait pas 40 mètres en une heure que l'on est éliminé par la concurrence, parce que la cristallisation de la valeur dans nos 20 mètres de toile que nous aurons seulement réussies à fabriquer en une heure, sera la moitié de la valeur d'une heure, si par exemple le nouveau standard de productivité social est de fabriquer 40 mètres de toile en une heure.

   Cette coercition anonyme s'exerce d'abord surtout contre les capitalistes, car c'est d'abord le capitaliste qui investit dans des moyens de production, des matières premières et l'achat du temps de capacité de travail, qui risque d'être éliminé. S'il veut survivre, il doit investir dans l'achat de nouvelles machines, c'est-à-dire de nouveaux processus innovants et discipliner la main d'oeuvre projetée dans la réorganisation du procès de travail ; et ce afin d'atteindre le nouveau standard de productivité sociale pour ne pas être éliminé dans la guerre inter-capitaliste. C'est cette dictature anonyme de la norme sociale temporelle de la productivité, toujours changeante, qui sera saisie en partie dans la façon de voir fétichiste d'Adam Smith, sous les traits de la  « main invisible » de la concurrence.

 

   

   Dans ce mécanisme où l'on voit se succéder les standards croissants de productivité sociale définissant la norme temporelle à l'intérieur de laquelle il faut produire une quantité de biens définie, la valeur d'une heure de travail social ne change jamais. Une heure de valeur reste toujours une heure de valeur, cela s'exprime empiriquement dans le fait que si on produit deux fois plus de biens, leurs prix retombera à la moitié. Les 4 chemises produites en 1 heures auront ensemble la même valeur que les 2 chemises produites en 1 heure dans le précédent standard temporel de productivité sociale. La hausse de la productivité n'augmente donc pas la valeur produite. Ce qui arrive plutôt comme le dit Postone, c'est la redéfinition constante de l'heure de travail social à chaque étape de hausse du standard de productivité sociale. Ce n'est évidemment jamais l'heure réelle de travail de l'individu particulier qui compte dans le capitalisme, c'est l'heure donnée par le standard de productivité sociale qui détermine le caractère bifide (abstrait et concret) du travail effectué par l'individu concret. Si tu mets 2 heures pour faire 40 mètres de toile, alors que le standard social de productivité est d'une heure, tes 2 heures réelles valent 1 heure sociale de travail. Postone insiste beaucoup sur cette rétroaction continuelle qui se produit, à chaque introduction d'un nouveau procès innovant, d'une nouvelle organisation du travail collectif dans l'usine, à chaque révolution industrielle. 1 heure sera définie par le fait d'y produire 120 mètres de toile, puis 1 heure sera définie par le fait d'y produire 240 mètres, puis 1 heure sera définie par le fait d'y produire 480 mètres, etc. Chacune de ces heures devient pendant un bref moment de l'appareil de production capitaliste, un paramètre de définition du procès de travail, jusqu'à la prochaine invention et à sa diffusion progressive dans les entreprises qui auront la capacité d'investir dans la restructuration technologico-organisationnelle du procès de travail.

 

Procès de production et effet « moulin de discipline »

(L'effet tapis roulant)

Extrait de Moishe Postone

« Ce processus de détermination réciproque des deux dimensions du travail social sous le capitalisme a lieu au niveau de la société en tant que tout. Il est au coeur d'une dialectique dynamique immanente à la totalité sociale constituée par le travail déterminé par la marchandise. La particularité de la dynamique - c'est essentiel - est son effet moulin de discipline. La productivité augmentée augmente la quantité de valeur produite par unité de temps - jusqu'à ce que cette productivité se généralise ; lorsqu'elle y est parvenue, la grandeur de valeur produite pendant cette période de temps, du fait de sa détermination temporelle générale-abstraite, retombe au niveau précédent. Cela aboutit à une nouvelle détermination de l'heure de travail social et à un nouveau niveau de base de la productivité. Ce qui apparaît, c'est donc une dialectique de transformation/reconstitution : les niveaux socialement généraux de productivité et les déterminations quantitatives du temps de travail socialement nécessaire changent, mais ces changements reconstituent le point de départ, c'est-à-dire l'heure de travail social et le niveau de base de la productivité.

   Cet effet " moulin de discipline " implique, même au niveau logique abstrait de la grandeur de la valeur - autrement dit, avant que la catégorie de survaleur et le rapport travail salarié/capital aient été présentés -, une société directionnellement dynamique, telle qu'elle est exprimée par des niveaux de productivité toujours plus élevés. Comme nous l'avons vu, la productivité augmentée aboutit à une augmentation à court terme de la quantité de valeur produite par unité de temps, et cette augmentation induit l'adoption générale des nouvelles méthodes de production ; mais, dès lors que ces méthodes se sont généralisées, la valeur produite par unité de temps revient au niveau précédent. En effet, les producteurs qui n'ont pas encore adopté ces méthodes nouvelles sont désormais contraints de le faire. L'introduction de méthodes toujours nouvelles de productivité croissante provoque de nouvelles augmentations de valeur de courte durée. Une conséquence de la mesure de la richesse par le temps de travail, c'est donc qu'alors que la constante temporelle est redéterminée par la productivité augmentée, la mesure par le temps de travail induit en retour une productivité encore plus grande. Il en résulte une dynamique directionnelle où les deux dimensions (le travail concret et le travail abstrait, la productivité et la mesure temporelle abstraite de la richesse) se redéterminent en permanence l'une l'autre. Comme, à ce stade de l'analyse, il n'est pas possible d'expliquer la nécessité pour le capital d'accumuler en permanence, la dynamique décrite ici ne présente pas la logique historique immanente pleinement développée du capitalisme. Toutefois, elle représente bien la spécification initiale de cette logique et dessine la forme que la croissance doit prendre dans le contexte des rapports sociaux médiatisés par le travail  »

Extrait de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale. Une réinterprétation de la théorie critique de Marx, Mille et une nuits, 2009, pp. 426-427. 

 

1er Schéma :

 

 

2ème schéma   

 

 

   Toute l'histoire du capitalisme depuis le XVIIIe siècle consiste en ce perpétuel mécanisme de base. L'heure de travail social est prise dans une redéfinition permanente au cours des restructurations successives et incessantes de l'appareil de production capitaliste. C'est la catégorie de « treadmill effect » qui sera utilisée par Postone pour saisir cette détermination initiale, ce mécanisme de base de la dynamique dialectique immanente au capitalisme et que Mercier et Olivier Galtier ont traduit par « moulin de disciplines » dans la traduction de Temps, travail et domination sociale.

   Cette traduction fait référence à un « treadmill » au XIXe siècle, une machine assez similaire à une « roue à hamster » pour produire de l'énergie, cette machine a été également utilisée comme un instrument de punition dans les prisons en Angleterre et ailleurs. Mais cela fausse un peu l'idée de Postone, car si il y bien un côté disciplinaire, il veut aussi insister sur le fait que l'on reste sur place, comme sur un tapis roulant ou un vélo d'appartement. C'est-à-dire que l'on revient toujours à la situation initiale en termes de valeur, même si le contenu du travail concret s'est densifié de manière croissante à l'intérieur de la même unité de temps. Ici la valeur de l'ensemble des 4 chemises finit par représenter la même valeur que représentaient dans le précédent standard de productivité sociale, 2 chemises. Et comme ce qui intéresse le capitaliste là-dedans n'est que la survaleur (médiée en surface sous la forme du profit), la baisse de la valeur et survaleur contenues dans chaque marchandise à chaque redéfinition de l'heure sociale de travail, doit être compensée par un accroissement en volume des marchandises produites.

Voici, selon Wikipédia, ce qu'était cette machine de punition et de disciplinarisation des corps, les « treadmill (« moulins de discipline »), utilisés en Angleterre, aux Etats-Unis, etc., aux XIXe et XXe siècles :

 

   Treadmills were invented in 1818 by an English engineer named Sir William Cubitt, son of a miller. Noting idle prisoners at Bury St Edmunds gaol, he proposed using their muscle power to both cure their idleness and produce useful work.[7] Cubitt's treadmills for punishment usually rotated around a horizontal axis, requiring the user to step upwards, like walking up an endless staircase. Those punished walked around the outside of the wheel holding a horizontal handrail for stability. Earlier treadwheels include either horizontal or inclined-axis devices designed for a single user as well as a horizontal-axis design with the user inside and using the shaft as a handrail, in a manner similar to the familiar toys for small pet animals such as hamsters. They remained in use until the second half of the 19th century; they were like twenty-foot long paddle wheels with twenty-four steps around a six-foot cylinder. Several prisoners stood side-by-side on a wheel, and had to work six or more hours a day, effectively climbing 5,000 to 14,000 vertical feet. While the purpose was mainly punitive, the most infamous mill at Brixton Prison was installed in 1821 and used to grind grain to supplement an existing windmill which Cubitt had previously installed nearby. It gained notoriety for the cruelty with which it was used, which then became a popular satirical metaphor. The machines could also be used to pump water or power ventilators in mines.

 

 

  

 

 

 

Tag(s) : #Théorie de la crise du capitalisme
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